L’affaire Dreyfus ou le triomphe de l’antisemitisme

L'affaire Dreyfus ou le triomphe de l'antisemitisme
Fonte Wikipedia

Le Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme de Paris présente jusqu’au 31 août une importante exposition consacrée à l’affaire Dreyfus qui a défrayé la chronique et profondément divisée la France.

Ce fut la plus grande affaire judiciaire du XIXe siècle. C’est en là un procès qui a eu une portée et des conséquences aussi marquantes que celui de Jeanne d’Arc à Rouen ou ceux du tribunal révolutionnaire avec Fouqué-Tinville comme procureur, qui a conduit des milliers de personnes sur l’échafaud, à commencer par le roi et la reine, de nombreux aristocrates, ainsi que les membres des factions hostiles à la politique des députés de la Montagne. C’était ce qu’on a appelé la Terreur.

Cette période sanglante se termina per l’exécution de Robespierre, de Saint-Just et de leurs amis. Il s’agit ici d’une affaire d’espionnage. En 1894, une femme de chambre travaillant à l’ambassade d’Allemagne, qui est en réalité un agent du contre-espionnage, trouve dans une corbeille à papier des notes qui viennent des services secrets français (un bordereau). On finit par accuser un officier, Alfred Dreyfus. Une instruction bâclée pendant une période mouvementée de la IIIe République, Il est condamné, sans preuve précise, à être déporté dans le bagne de la Guyane.

A cette époque, l’antisémitisme, qui avait toujours été présent en France, avait pris des proportions considérables. La France juive, un ouvrage écrit par Edouard Drumont et qui a été financé par Alphonse Daudet, a connu un grand succès de librairie. Quand Dreyfus est condamné, bien peu de voix se sont élevées `pour le défendre.

La presse, dans sa majorité, a vu dans sa judéité la véritable clé du problème. Sa dégradation publique aux Invalides n’a pas suscité de grandes réactions. Seule sa famille est résolue à se battre. Son frère fait croire à son évasion en 1896 dans la presse britannique et l’affaire est de nouveau discutée.

Des journalistes s’interrogent cette fois sur le bien fondé de cette condamnation. Bernard Lazare s’ingénie à démontrer le manque de preuves et publie à ce sujet un opuscule. Peu avant, le lieutenant-colonel George Picquart est nommé à la tête de ce qu’on nommait alors la « section de statistique ». Il a ouvert le dossier Dreyfus et s’est vite convaincu que le traître serait plutôt le commandant Ferdinand Walsin Esterhazy. Mais sa hiérarchie ne veut pas l’entendre. Il perd son poste et est envoyé en Tunisie.

Mais quand il peut rentrer à Paris, il fournit les éléments en sa possession à son avocat Louis Leblois en 1897. Celui-ci ne devait rien révéler pour l’instant. Mais il finit par en informer le vice-président du Sénat, Auguste Sheurer-Kesner. La même année, un financier rencontre le frère du capitaine Dreyfus et lui confie qu’il a la preuve qu’Esterhazy est le coupable. Mais cela n’a pas abouti à une révision du procès. Mais Esterhazy n’est pas jugé coupable.

Averti par Sheurer-Kestner, Emile Zola est à son tour convaincu qu’il faut rouvrir l’affaire et écrit une lettre ouverte au président de la République, Félix Faure. Ce brûlot est publié en 1898 par Georges Clémenceau en première page de son journal, L’Aurore. Ce pamphlet a fait l’effet d’une bombe. L’écrivain se voit attribuer une forte amende et est condamné à un an de prison. Il s’exile aussitôt à Londres.

Même si le nouveau ministre de la Guerre, Godefroy Cavaignac, est un antidreyfusard acharné, il ne peut empêcher que le lieutenant-colonel Henry soit arrêté et mis à la disposition de la justice. Il a pris toutes les fautes à son compte. Le lendemain de son incarcération, il est retrouvé mort dans sa cellule, la gorge tranchée. Il avait voulu sauver ses supérieurs.

La révision du procès est décidée en 1899 et Dreyfus s’est retrouvé a tribunal de Rennes pendant l’été 1899. Il est gracié, mais n’est pas réhabilité. Une loi d’amnistie est votée dans la foulée. Les choses n’en restent pas là. Le nouveau ministre de la Guerre, le général André, découvre en 1903 le nombre impressionnant d’irrégularités et de faux dans cette affaire. Une enquête est diligentée et met à jour les faux réalisés par l’état-major. Un nombre considérable.  Dreyfus est réhabilité. Il est élevé au grade de commandant et reçoir la Légion d’honneur. Mais une erreur dans la procédure l’oblige à prendre sa retraite. En 1906, un attentat est perpétué contre le malheureux, qui en sort blessé au bras lors des funérailles de Zola. `

Cette sinistre affaire a exaspéré les passions. Mais la réhabilitation tardive de Dreyfus ne met as fin à l’affaire, loin s’en faut. L’antisémitisme ne fait que se répandre et sera l’une des clefs de voûte de la politique française pendant l’entre-deux-guerres et encore plus sous le gouvernement de Vichy présidé par le maréchal Pétain. Et à l’étranger, cela aura aussi des répercutions.

Le journaliste autrichien Theodor Herzl assiste à la dégradation de Dreyfus. Il en a été extrêmement offusqué. C’est à partir de cet événement que lui est venue l’idée du sionisme, qui a fait son chemin et qui a conduit à l’installation de colonies juives en Palestine, puis à la fondation de l’Etat d’Israël en 1948. Encore aujourd’hui cette affaire n’est pas oubliée et demeure une pomme de discorde.

Ce catalogue ne remplace pas toute l’énorme littérature qui a accompagné l’affaire Dreyfus, mais il n’en reste pas moins qu’étant un complément indispensable pour qui visite l’exposition, mais c’est un authentique vade-mecum de cette longue et pénible question qui a envoyé sur l’Ile du Diable un innocent et qui a été la source d’une fracture profonde dans la société française. L’antisémitisme est devenu alors le complément direct du nationalisme et des droites françaises. De nos jours, cette confrontation a pris une autre tournure, sans doute, mais reste la queue de cette comète idéologique.

Alfred Dreyfus, vérité et justice, sous la direction d’Isabelle et de Philippe Oriol,  CahnEditions Gallimard / MAHJ, 288 p., 39 euro.