Céline, encore et toujours

Céline, encore et toujours
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Louis-Ferdinand Céline

S’il est l’un des plus grands écrivains du XXe siècle en France, il n’en reste pas moins l’une des figures les plus contre-versées. Céline a publié en 1932 Voyage au bout de la nuit, qui est sans nul doute un chef-d’œuvre. Mort à crédit, qui est paru quatre ans plus tard, relate son-enfance dans-le-passage Choiseul à Paris et aussi une vision vertigineuse et-quasiment-surréaliste-de Paris qu’il dépeint comme un périple vertigineux dans les rues de la capitale. Cette année 1936, il a entrepris un voyage en Union Soviétique, les Russes lui offrant un séjour pour découvrir la patrie du socialisme (les Soviétiques ne payaient jamais les-droits d’auteur-des-écrivains-traduits-en-russe).

Un tout autre Céline, médiocrité de écriture

De retour en France, il n’a pas écrit comme André Gide une relation de son périple, mais a écrit un Mea Culpa et a commencé à écrire des pamphlets d’une rare violence, où il fustige le communisme, la France, les autres démocraties et aussi les francs-maçons et les Juifs. La violence de ses digressions se double d’une relative médiocrité de son écriture, qui fait songer à La France juive d’Edouard Drumont. Il révèle un tout autre Céline, qui dénigre à peu près tout, avec rage et virulence sans la moindre nuance. Le premier d’entre eux, Bagatelle pour un massacre, a paru en 1937. Il est suivi, un an plus tard, par L’Ecole des cadavres. Ces deux ouvrages ne sont pas distribués en librairie. Et s’il affiche ses opinions favorables au nazisme, aucun article de sa main n’a été imprimé dans un journal collaborationniste.

Le livre interdit

Le dernier livre de cette série est imprimé en février 1941, Les Beaux draps, est interdit en zone libre car il s’en est pris aussi au gouvernement de Vichy. Il est considéré comme un antisémite par sérieux. Il revient au roman avec la publication de Guignol’s Band en 1944. Il est à souligner que ni avant ni après les pamphlets n’est apparu une seule allusion antisémite dans son œuvre. Et, après la guerre, il écrit l’ouvrage le plus caustique contre le régime de Vichy (il avait suivi le gouvernement jusqu’ai Sigmaringen), D’un château l’autre, qui est sorti de presse chez Gallimard en 1957. En somme, à cause de son anarchisme absolu, Céline a été un collaborateur qui n’a pas collaboré (on a pu lui reprocher des dénonciations de Juifs, mais en 1940, et quelques dénonciations lui sont attribuées, mais non avérées).

Les manuscrits découverts

Ce qui surprend le plus dans cette longue et pathétique aventure est que Céline a semblé ne plus rien écrire d’autre. En 2021, un plan de travail et trois manuscrits sont découverts dans des circonstances en partie mystérieuses. L’auteur avait fait un plan en trois phases
envoyé à Denoël en juillet 1934: l’enfance, la guerre et Londres. On peut considérer que Mort à crédit correspond à l’enfance. Mais les autres manuscrits avaient disparu en 1944 et on les croyait perdus à jamais lors de la Libération de la France. Guerre a été vendu aux
enchères à l’Hôtel Drouot en 2001 et acquis par la Bibliothèque nationale.

L’histoire

L’histoire commence par la blessure qu’il a reçu en effectuant une mission solitaire pour transmettre un message à un autre point du front. Le maréchal des logis Destouches est bel et bien sérieusement blessé le 25 octobre 1914 et son récit, au début, est assurément autobiographique. Par la suite, même si bon nombre d’éléments paraissent confirmer cette veine personnelle, il introduit toutes sortes de personnages qui sont présents au cours de sa convalescence. Même s’il s’agit d’un premier jet, l’écriture de ce manuscrit est remarquable. Sans doute, sommes-nous loin du Voyage, il se révèle un narrateur extraordinaire.

Londres, second ouvrage de Céline

Le second ouvrage, Londres, écrit entre 1933 et 1934, se fonde sur le séjour qu’il a fait en Angleterre après un long séjour à l’hôpital du Val-de-Grâce, il est envoyé comme auxiliaire au service des visas au consulat de France à Londres. Il n’est rentré en France qu’en 1917, étant tombé malade. Rien ici n’a de lien direct avec ses fonctions. Il y est surtout question de la relation de son héros avec une prostituée, Angèle, qui fait office d’indicateur de police et qui meurt assassinée. Les descriptions qu’il y a fait de divers quartiers et de leur population est absolument admirable. Ce qu’il dépeint depuis la fenêtre de la modeste Leicester Pension (en réalité une maison close) marque l’épicentre de ses circumambulations dans la cité. Soho est en effet un quartier mal famé.

Celine, un talent étonnant

Il fait également une fresque des rues où vivent les Juifs dans le East End (à Whitechapel ou à Shoreditch) fait preuve d’une curiosité aiguisée, mais sans le moindre préjugé. Son héros est lié au docteur Yugenbitz, qu’on retrouve dans Guignol’s Band. Les histoires de toutes ces figures procurent le sentiment de plonger dans un univers foisonnant et interlope de déclassés et de mauvais garçons qui ne cessent de proliférer. L’auteur a fait preuve dans ces pages d’une inventivité frappante et d’un goût prononcé pour les bas-fonds de la société, mais sans jamais en tirer une mythologie chargée d’admiration. C’est sa manière de percevoir ce qui l’entoure et qui marque le début du XXe siècle avec un talent étonnant.

Gallimard et les dernier publications

Le dernier volume publié par Gallimard en 2023 comprend deux manuscrits abandonnés en 1944 dans l’appartement de Montmartre: La Volonté du roi Grogol et La Légende du roi René. Ils sont incomplets et le second, qui pourrait être une autre version ou le prélude du roi Krogold. La suite du premier, est très lacunaire. Ils sont étranges car Céline s’est aventurée avec fougue dans un genre qui ne lui était pas familier: la chanson de geste. Il a métamorphosé ces récits épiques en une sorte de parodiecomique du genre. Les deux chevaliers combattent le prince félon Gwendor qui s’était allié la ville sainte
de Christianie…

Louis-Ferdinand Céline n’a pas fini de nous surprendre! Il a été un individu un peu médiocre, mais un homme de lettres qui a su offrir à la littérature française une dimension jusque-là inconnue.